Semaine du 18 octobre 1999 |
Semaine complète au sommet!
Ça y est, deux semaines de CAFE! Le CAssegrain Fiber Environment (qui relie le foyer du télescope au spectrographe Gecko, à l'étage en dessous, à l'aide de fibres optiques, au lieu d'utiliser 5 miroirs qui prennent du temps à aligner avant chaque mission Gecko).
Lever a 6h - Mmmgrrblpfff - Les astronomes ne sont pas faits pour se lever si tôt! Départ de Waimea à 7h, avec d'autres ingénieurs impliqués dans le projet. Arrivée à Hale Poaku pour déjeuner avec les deux Français qui ont construits CAFE et vont participer à l'installation et aux tests pendant les 2 semaines qui viennent.
Après s'être offert un déjeuner de gars de construction (oeufs, bacon, saucisses, patates...), on s'entend sur le plan d'attaque pour la journée. On commence par monter au sommet, pour voir CAFE de visu. C'est une boîte pas très grosse (1m x 0.5m x 0.5m approximativement) contenant des lampes de calibration et une roue avec des petits miroirs. Pas très compliqué.
Murphy nous guettant du coin de l'oeil, on se rend compte qu'il faudra faire plusieurs ajustements mécaniques pour que CAFE puisse être mis au télescope; une plaque est trop épaisse, la caméra TV est trop grosse pour aller là où elle est supposée aller à l'intérieur de CAFE.
On s'entend sur les modifications à faire, et sur les noms de chaque partie de CAFE. On nous montre comment contrôler les lampes et la roue à l'aide d'une commande manuelle avec pleins de jolis pitons.
Pendant que les autres restent au sommet pour commencer à travailler sur CAFE, je redescends à Hale Poaku avec un ingénieur du CFHT et l'électronicien Français qui doit continuer la programmation d'un microprocesseur et standardiser la syntaxe de ses commandes selon ce qu'on utilise ici avec la plupart des autres instruments.
On dîne donc à Hale Poaku avant de se remettre au boulot. C'est là que je sers d'interprète, car l'électronicien ne parle pas l'anglais, et l'ingénieur du CFHT ne va pas plus loin que "Bonnjouwr" et "Meursssi bok-ou". L'ingénieur du CFHT doit vérifier comment l'électronicien a construit ses circuits, comment il contrôle CAFE et si toutes les demandes faites par l'équipe du CFHT ont été implémentées comme prévu.
Alors je traduis du français à l'anglais et vice versa, malgré mes faibles connaissances en électronique et quelques lacunes dans mon anglais. Il ne suffit pas de traduire mot à mot (quand je connais l'équivalent français d'un terme technique anglais!); je dois comprendre tout d'abord de quoi on parle pour pouvoir choisir les bons mots! C'est un peu long parce que chacun doit m'expliquer la situation, puis je pose des questions pour vérifier que j'ai bien compris, puis je traduis, et je renvoie la réponse. On n'est pas au sommet, mais on est tout de même à près de 3000 mètres d'altitude, où il est reconnu que déjà, il est difficile de se concentrer et de travailler efficacement.
Ce qui fait qu'après quelques heures de va et vient entre deux langues et entre deux personnes qui n'ont pas toutes leurs facultés intellectuelles et qui ne s'expliquent pas toujours assez simplement et clairement pour que je comprenne, je me mets à parler français à l'anglophone et vice versa! Quel charabia! Confusion totale! La traductrice perd son français et son anglais! Mais à force de répéter et de re-expliquer, on finit par se comprendre, et l'électronicien français comprend parfaitement les modifications qu'on lui demande.
On le laisse donc continuer à travailler à Hale Poaku sur ses circuits et sa programmation (en assembleur en plus! Programmer en BASIC est déjà un défi à 3000 m, alors en assembleur...!) et on remonte au sommet pour voir où en sont les autres.
Tout semble sous contrôle, même si deux semaines paraissent tout juste suffisantes pour tout tester et vérifier. Vers 16h30, tout le monde lève le camp pour retourner à Hale Poaku puis à Waimea. On a amplement de véhicules pour redescendre l'équipe CAFE et les employés réguliers qui veillent à l'entretien de notre télescope et de ses systèmes connexes.
Vers 17h, je suis donc de retour à Hale Poaku, attendant le reste de l'équipe CAFE pour le retour à Waimea. Sauf que "avoir assez de véhicules pour redescendre tout le monde" ne garantit pas que tout le monde va effectivement redescendre si on part trop vite sans vérifier que l'observatoire est bien vide! On a oublié des collègues au sommet! Oooups! Ce n'est pas juste un simple oubli, c'est une erreur et une violation des règles de sécurité... Avec un peu de malchance, le mauvais temps aurait pu tout d'un coup empêcher l'accès au sommet, et les oubliés auraient été obligés de passer la nuit seuls en haut sans véhicule! Pas recommandé...
Le technicien d'observation et les astronomes pour cette nuit-là montent juste au moment où on réalise notre gaffe; ils prennent donc 2 véhicules, pour en apporter un à nos pauvres oubliés...
J'en ai pour une heure à attendre que mes collègues redescendent. Je commence donc à travailler un peu, question de trier mes messages électroniques et effectuer quelques tâches simples et rapides. La fatigue due aux efforts de concentration et à l'altitude commence à se faire sentir. Pendant cette petite heure de travail, j'ai l'impression d'avoir totalement perdu contact avec mon environnement. J'ai travaillé, mais comme dans un rêve, comme une somnanbule. J'ai travaillé dans une bulle sans suivre ce qui se passait autour de moi.
Lorsque mes collègues sont enfin arrivés, j'étais complètement zombie. On m'a demandé de "ramener la pile de papier qui est sur la valise, dans le coin". C'était une requête tout simple en anglais tout simple, mais on aurait pu me parler japonais, que j'aurais tout aussi bien compris. Je n'étais pas sûre du tout de ce qu'on me demandait. Il a fallu qu'on me montre quel coin, quelle valise et quels papiers avant que je me réveille et saisisse ce qu'on me demandait.
Alors départ pour Waimea. Pour une atmosphère un peu plus riche en oxygène. Dans la voiture, j'ai essayé de résumer et de me remémorer la situation qui avait mené à l'oubli de quelques collègues au sommet. Il me manquait un morceau au puzzle, et j'ai demandé comment telle personne était redescendue, ne me souvenant pas avec qui cette personne était au moment du départ du sommet.
Zombie, j'étais: cette personne était redescendue dans le même véhicule que moi, et je lui avais même parlé plusieurs fois, mais je ne m'en souvenais plus du tout!
Oulala, vitement que j'arrive à la maison, j'ai besoin de repos! J'ai
pris le temps de manger un peu, puis j'ai plongé dans mon lit, en
espérant ne pas avoir perdu trop de neurones cette journée-la...
Lever à 6h - Mmmnngrrblblpf - j'étais la seule à monter de Waimea pour CAFE cette journée-là; les deux Français avaient pris résidence à Hale Poaku, un des ingénieurs de CAFE préférait dormir à Hale Poaku plutôt que de redescendre à Waimea à chaque soir (et conduire une heure de plus pour arriver jusque chez-lui), et les autres membres de l'équipe n'étaient pas disponibles. On m'attendait donc à HP pour déjeûner et poursuivre les travaux sur CAFE.
Etant donné que j'étais seule à monter, je me suis permise d'arriver 5 minutes en retard aux quartiers généraux du CFHT, pensant qu'un véhicule avait été réservé pour moi toute seule. Erreur... Je devais monter avec un employé de jour, qui sortait du stationnement lorsque je suis arrivée au CFHT (en retard de 5 minutes)... Trente secondes plus tard et je devais prendre ma propre voiture pour aller à HP, l'heure des départs étant très strictement et précisément 7h00 pile. Une petite gaffe de la p'tite nouvelle...
On n'a pas beaucoup travaillé sur CAFE, cette journée-là. L'électronicien travaillait tout seul à Hale Poaku sur ses circuits et programme, tandis que son collègue montait CAFE sur un banc d'optique pour pouvoir effectuer des tests d'alignement et de foyer. Pas moyen de jouer avec CAFE pendant ce temps-là.
Durant l'avant-midi, je me suis donc familiarisée encore plus avec Gecko. L'ingénieur m'a appris des choses que je n'ai pas à savoir, mais qui me permettent de mieux saisir l'instrument. On m'a montré pleins de trucs auxquels je ne dois pas toucher (des réglages cruciaux), mais il ne faut pas s'inquiéter, à la fin de la journée, j'aurai tout oublié, par manque d'oxygène...
Lunch au sommet. On descend un peu plus bas dans une petite bâtisse située entre deux observatoires, et où un cuisinier installe sa popotte mobile. Bien sûr, silence de béton armé quand une dame met le pied dans ce lieu; on n'est pas habitué... Mais on prend notre lunch dans un contenant de styro-mousse et on remonte manger le repas (qui aura refroidi substantiellement) au "Café du Mont Blanc", le petit coin repos-bouffe du CFHT. Petite demi-heure pour manger, et on retourne travaller.
Comme CAFE n'est pas encore prêt sur son banc d'optique, on me montre comment un autre des instruments, OASIS, fonctionne. On monte donc au 5e étage, où réside le télescope. OASIS est sur la mezzanine, un peu plus haut que le 5e étage. Fa frett. Autour de Zéro Celsius. J'ai pleins de chandails et un manteau, mais j'ai froid. Mais j'ai toujours froid, alors rien d'anormal de ce côté, même si je fais rire de moi, emmitouflée dans mon gros chandail, le capuchon sur la tête, le manteau zippé jusqu'en haut, le nez dans un cache-col, et mes mains dans de gros gants d'hiver, alors que tous les autres ont le manteau ouvert ou travaillent avec une simple veste sur le dos. "Are you cold???" Mes collègues n'arrivent pas à concevoir que j'aie froid. Et ils trouvent ça bien drôle, ça les fait rigoler... mais j'y suis habituée, on m'a déjà surnommée "Popscicle" pendant mon bac en physique! Ça ne date pas d'hier...
A part qu'il faisait froid mais que j'étais la seule à avoir froid, j'ai vu OASIS, un instrument plus haut que moi, avec pleins de composantes optiques et mécaniques. On a allumé un terminal qui était juste à côté pour que je vois les généralités du programme de contrôle. Mais comme il faisait très humide dans le dôme, le moniteur s'est mis à faire des Bzzzzt! Dzzing! Cccrrrr! Tssssssst! Pow! qui nous ont dissuadé de poursuivre l'expérience. Ça sera pour une autre fois! Et au chaud, le terminal va sûrement préférer, et moi z'aussi d'ailleurs.
Juste à ce moment, CAFE était finalement prêt à être testé, sur son banc d'optique. Un peu plus au chaud, au 2e étage, mais il ne devait faire que 10 ou 15 degrés, pas assez pour que j'enlève mon manteau, ni mon cache-col ni mes gants. "Are you cold???"
On a donc eu quelques heures pour tester l'alignement de certaines composantes optiques. Je prenais des notes incroyablement détaillées, de peur de ne pas être assez cohérente dans mes propos. Comme certains écrivent des bêtises incohérentes quand ils sont au sommet, j'ai pris le plus de détails possibles en espérant que le tout contienne un minimum d'information pour pouvoir être utile plus tard. Le défaut est que j'écris tellement de choses qu'il est difficile de retrouver une information précise rapidement... Mais vaut mieux trop d'informations que pas assez.
Prendre des notes me permet de bien comprendre ce qui se passe et de rester "consciente". L'effort fait pour comprendre et rester concentrée évite de devenir légume et paresseuse. Une fois qu'on a perdu le fil et qu'on a laissé nos pensées divaguer, il est difficile de revenir sur Terre et de se replonger dans nos activités.
Tout de même, en fin d'après-midi, souvent tout d'un coup, nos cerveaux arrêtent de fonctionner, et on n'arrive plus à penser. Certains avouent alors "mon cerveau vient de se mettre à OFF", et on sait qu'essayer de leur faire réciter la table de multiplication par 1 équivaut à essayer de faire la même chose avec un réfrigérateur.
Ce n'est même pas qu'on ne sait pas comment répondre à une question, on ne sait même pas quelle question il faut poser! Ce n'est pas qu'on ne sait pas comment résoudre un problème, on ne sait plus de quel problème il s'agissait. On n'est plus trop sûr de ce qu'on faisait (d'où l'utilité de prendre des notes!), on n'est plus trop sûr de ce qu'on voulait faire.
C'est bizarre comme ça peut arriver subitement. Ça n'arrive pas
toujours; ça peut arriver tôt durant la journée si on se laisse
aller. Mais il est difficile de "revenir". Très intéressant, comme
phénomène.
Lever à 6h - MMMmmmmmgggrrrrblblblblb -
Départ de Waimea à 7h - Déjeûner à Hale Poaku - Sommet vers 9h.
On continue de travailler sur les alignements et la caractérisation de l'optique de CAFE. Tout d'un coup, on nous annonce qu'il faut nous préparer à évacuer, car il s'est mis à neiger de façon intense et plutôt inquiétante. Flûte! On était très bien parti, on était concentré, on suivait parfaitement ce qui se passait, je notais tout, on savait ce qu'il fallait faire... mais il a fallu tout éteindre, ranger nos instruments, et tous se retrouver près de la porte de sortie pour évacuer le sommet.
Il neigeait de gros flocons mouillés qui avaient déjà déposé 5 cm de neige collante partout. Rien de très inquiétant, mais comme la situation peut très rapidement se détériorer et diminuer nos chances de pouvoir quitter le sommet en toute sécurité, le grand manitou de notre groupe décide qu'il faut évacuer.
Cette fois-ci, on s'assure que tout le monde prend sa place dans un véhicule! Là, il ne faut vraiment pas oublier qui que ce soit! La visibilité est relativement bonne; la route est un peu glissante, mais on descend à pas de tortue, en 1ere vitesse.
On est parmi les premiers à évacuer le sommet; plusieurs employés d'autres observatoires vont rester plus lontemps que nous. On passe pour des pissous, mais tant pis.
Le responsable de la sécurité routière ferme officiellement la
route à tout traffic (sauf pour ceux qui essaient de redescendre). On
arrive un peu avant le dîner à Hale Poaku. On a donc le temps de
discuter un peu avec l'électronicien qui a continué à travailler seul à
Hale Poaku. On espérait pouvoir remonter, mais à 14h30, on déclare
forfait et on repart à Waimea. Ça fait un sérieux contretemps, mais il
faudra s'ajuster...
Lever a 6h - Aaaarggmmmblblblbl -
Même petite routine. On était prêt à quitter Waimea à 7h, mais la route vers le sommet n'était pas encore ouverte. Le vent forme un énoooorme banc de neige qui empêche l'accès au CFHT. Les souffleuses sont au travail et prévoient la ré-ouverture de la route pour 10h. On attend donc jusqu'à 8h avant de quitter Waimea.
En attendant ainsi, on arrive trop tard à Hale Poaku pour le déjeûner chaud, et on doit se contenter de céréales ou de toasts, ce qui n'est tout de même pas si mal!
On attend que la route soit complètement ouverte avant de monter, en utilisant 2 véhicules, au cas où un des camions éprouverait des difficultés en montant.
Alors que quelques jours auparavant, le paysage au sommet montrait toutes les teintes de bruns, ocre, rouille, noir et beige barbouillant les cônes volcaniques, maintenant, tout est recouvert de neige blanche. La route est bien dégagée; plusieurs "locaux" sont même déjà en train de remplir de neige l'arrière de leur camion 4x4, pour pouvoir déverser ça en plein milieu de leur rue, question que leurs enfants s'amusent un peu...
On croise quelques employés d'un observatoire voisin, et on nous accueille avec de belles grosse balles de neige bien collante... Cré gamins...
C'est le train-train qui s'installe. Les tests se poursuivent. J'apprends énormément de choses sur des principes de base en optique. Etant donné que l'altitude nous fait tous passer pour des retardés, je peux alors poser des questions à la limite du raisonnable et faire passer mon ignorance pour un effet du manque d'oxygène... Pratique! Et on se sent moins gêné de faire re-re-re-répéter notre interlocuteur lorsqu'on veut être sûr d'avoir bien compris. A Waimea, on passerait pour des idiots qui n'écoutent pas quand on leur parle ou qui ne paient pas assez attention. Ici, au sommet, tout le monde sait que tout le monde est à moitié fonctionnel, alors il n'y a pas de gêne à poser 36 fois la même question. Ça vaut pour tout le monde. Je fais souvent répéter pour être sûre que je suis bien ce qui se passe, mais je surveille également mes collègues et leur indique parfois qu'ils ont oublié tel détail, qu'ils ont fait une faute de frappe, qu'un câble n'est pas branché ou qu'une lampe n'est pas allumée. En travaillant en groupe, on laisse passer moins d'erreur et on se tient réveillé.
Mais même lorsqu'on est plusieurs à travailler sur la même chose, on laisse parfois passer des détails importants... On est tombé sur quelques problèmes plutôt inquiétants sans pouvoir trouver d'explication immédiate. Notre crainte à ce moment était qu'un défaut majeur de CAFE nous empêche de l'utiliser tel que prévu. Après quelques calculs, des changements de configuration et plusieurs tests, on n'arrivait toujours pas à comprendre ce qui se passait. En quittant le sommet, l'espoir était que de retour à une altitude raisonnable ou après une bonne nuit de sommeil, la solution nous apparaîtrait miraculeusement...
La journée de travail s'est étirée un peu, alors on a tous soupé
ensemble à Hale Poaku au lieu de retourner chez soi pour ce faire. On
est arrivé juste avant la fermeture du service; mais de toute façon, nous
avions réservé un repas, et si nous étions arrivé trop tard, nos repas
nous auraient attendus dans le frigo. Très bon service.
Lever à 6h - PPPfffff - je ne m'y ferai jamais.
Ooops... La nuit dernière, quelqu'un a laissé un camion stationné trop près de la coupole du CFHT... En faisant tourner le dôme, un gros tas de neige et de glace est tombé sur le pare-brise du camion. Brisé, le pare-brise! La neige l'a traversé du côté du conducteur. Ooops... Ce sont des choses qui arrivent relativement souvent. Quelqu'un brûle les freins, ou prend le fossé, ou frappe un animal... Le mécanicien s'arrache souvent les cheveux, en voyant les gaffes que l'on peut faire...
Quelqu'un a trouvé l'explication d'un de nos problèmes rencontrés hier; et des tests additionnels ont expliqué ce qu'on ne comprenait pas tout à fait. Tout est sous contrôle, on découvre même des détails intéressants sur le spectrographe lui-même.
Fin des tests "au chaud" (15 degrés) en fin d'après-midi. Relativement au chaud, s'entend; j'étais frigorifiée et on riait de moi, comme d'habitude! "Are you cold???" Alors on a tout déménagé au 5e étage, où il fait environ zéro degré. Et la semaine prochaine, il faut refaire tous les tests déjà effectués "au froid". Ça va être joyeux!
Le bilan de la semaine est positif. On a progressé, tout est sous contrôle, tout va bien. L'équipe travaille bien, les tâches sont bien réparties, on s'occupe de la mécanique, de l'optique et de l'électronique. On s'entend bien ensemble, l'atmosphère est détendue et propice au travail, on arrive à très bien communiquer avec les deux collègues Français. J'ai tout noté ce qu'on a fait, les autres n'en reviennent pas de ma volubilité; j'espère au moins que ça va servir!
Côté santé, je pense que je commence à bien m'habituer à l'altitude. Je peux manger comme un cochon au déjeûner (oeufs et bacon!) et garder le tout sans être malade. Je reste concentrée la majeure partie de la journée et j'arrive à travailler autant que les vieux de la vieille. J'utilise l'ascenseur le plus possible pour économiser mon air (mêmes si certains me font prendre les escaliers pour que je me réchauffe; "Are you cold???"). Et j'utilise la méthode d' "expiration sous pression" (Pressure Breathing) pour faire augmenter le taux d'oxygène dans mon sang. C'est simple: en expirant, on ferme presque complètement les lèvres pour forcer l'air hors de nos poumons.
J'ai également ma version très personnelle de cette technique. On inspire, on met les deux pouces de chaque côté de notre tête, paumes vers l'avant et mains ouvertes, on tire la langue et on expire... Blblblblblbl! Les autres trouvent ça bien drôle... M'enfin, faut bien s'amuser, quoi!
Attaque de l'araignée sauteuse... Je venais de me mettre au lit, les lumières étaient éteintes, je fondais dans mes couvertures et attendais le sommeil réparateur. J'étais à peine assoupie que j'ai senti une bibitte me sauter sur la figure, sur le front, juste au-dessous du sourcil. Réflexe foudroyant et immédiat, j'ai giflé "la chose" à plusieurs reprises et manqué de m'assomer par la même occasion, mais en allumant les lumières, j'ai constaté que c'était effectivement une Orrible petite araignée sauteuse. Elle était assommée, pas étonnant vu que je m'étais tapée dessus plusieurs fois pour ne pas la rater, et j'ai pu punir définitivement son insolence et m'en débarasser proprement.
Araignée 0, Nadine 1.
Pas assez d'oxygène, c'est dur, mais trop, aussi. On m'avait avertie qu'après avoir travaillé une semaine au sommet, ça me prendrait 2 jours pour récupérer, et que je ne devais rien planifier d'important. Je pensais que je serais fatiguée physiquement, ce qui peut se traiter facilement avec du repos, mais non, c'est plus compliqué que ça!
J'ai vite compris pourquoi il ne fallait pas avoir de plan précis pour la fin de semaine. J'ai passé mon samedi à tourner en rond dans la maison, décidant de faire la vaisselle, puis non, plutôt le lavage avant, ou alors non, le ménage. Je prenais une décision ferme et convaincue pour aussitôt changer d'idée, et rechanger d'idée, et rechanger d'idée. Tout me tentait, rien ne me tentait. Je voulais puis je ne voulais plus. Je ne pouvais prendre de décision, je n'arrivais pas à me concentrer, je n'arrivais même pas à suivre ce qui se passait à la télé, j'étais trop distraite et absente.
Cette indécision m'a mise de mauvaise humeur et plutôt déprimée. Je n'ai pas fait grand chose de très utile ce samedi-là. C'est comme si j'étais emprisonnée dans mes pensées et n'arrivait plus à sortir de ma bulle. Je n'étais pas là, mais je n'étais nullepart non plus!
C'est pour ça qu'il ne faut rien planifier! Chacun réagit de façon
différente, mais je ne suis pas la seule à être momentanément et
partiellement schizophrène de retour du sommet... Les autres ne
planifient rien parce qu'ils savent qu'ils ne pourront rien faire! Le
cerveau est une
magnifique petite machine, mais il n'est pas fait pour fonctionner trop
longtemps en altitude! Les effets de l'altitude sur le comportement et
les humeurs sont très intriguants; si j'avais un 2e doctorat à faire, je
le ferais là-dessus...
Dimanche un peu mieux que le samedi. Je suis doucement redescendue sur terre. J'en ai profité pour couper le gazon qui commençait à être pas mal long, surtout après les fortes pluie de la semaine précédente (qui avaient donné la neige au sommet).
Bien sûr, je n'avais jamais fait ça de ma vie, et le livre d'instruction de la tondeuse ne correspondait pas au modèle de tondeuse que les propriétaires m'ont laissée! Qu'à cela ne tienne, j'allais au moins essayer de faire marcher ce monstre pollueur et bruyant. J'y suis arrivée, j'ai dû utiliser tous mes muscles à 110% pour tirer sur la maudite corde et faire démarrer l'engin (il fallait que je m'y prenne à dix fois avant que ça démarre, uuuurrg!), et j'ai poussé l'horreur à roulettes dans l'herbe haute et récalcitrante pendant plus d'une demi-heure. L'intégralité de mes muscles en a souffert pendant 3 jours, mais mon gazon est beau.
Je n'ai pas hâte à la prochaine fois.