2000 |
Tel que prévu dans le calendrier planifié lors des réunions TOM, une "tempête de neige" s'est abattu vers midi sur Waimea et le sommet, a nécessité l'évacuation des employés et les vacances du Jour de l'An ont alors été devancées... Mais juste avant, on nous a appelé au secrétariat pour une réunion très très importante, arrosée de champagne et jus d'orange, de sashimis (poisson cru), fromages français, saucisson italien... je ne me souviens plus du contenu de la réunion, tiens, bizarre...
Je n'ai pas abusé du champagne puisque je devais monter au sommet, pour passer une nuit complète à observer!
Finalement, après tant d'années en recherche et quelques mois au CFHT, j'ai pu passer une nuit complète au sommet pour mener des observations astronomiques! Pas du support, pas des tests, pas de l'ingénierie, des observations!
Les astronomes du CFHT avions 3 nuits discrétionnaires avec la caméra à grand champ CFH12K. Cette mosaïque de 12 CCDs peut prendre des images qui couvrent une surface plus grande que celle de la Lune, et c'est la meilleure au monde présentement.
On a regroupé donc plusieurs projets d'observations (des galaxies, un amas de galaxies, une région de formation d'étoiles, recherche d'astéroïdes), divisé les nuits en plusieurs blocs dédié à chaque projet et assigné chaque nuit à un ou plusieurs astronomes.
Après un petit cours rapide sur le fonctionnement de la caméra et une revue du programme détaillé de la nuit, je suis montée à Hale Poaku, par une belle journée un peu nuageuse dans la vallée entre le Mauna Kea et le Mauna Loa, mais pas assez pour recouvrir le sommet. J'avais encore une fois une Oldsmobile, l'espèce de vieux tacot aérodynamique qui décolle de la route quand on prend quelques côtes un peu trop rapidement et qui peine à 40 km/h le pied au plancher les dernières centaines de mètres avant d'arriver à Hale Poaku. Pas le gros luxe, mais ça fait l'affaire...
Souper solide et rustique, avec un demi-poulet (petit, le poulet...) et des patates pilées très probablement synthétiques vu qu'elles goûtaient le carton.
Je suis montée au sommet avec l'assistant d'observation (AO). C'est l'hiver, c'est janvier, mais il n'a pas re-neigé depuis un bon bout de temps et il reste peu de neige au sol. Dommage, c'est très joli quand les cônes volcaniques sont enneigés... Vent à écorner les beux; le AO a judicieusement choisi de stationner le véhicule dans le vent, pour ne pas que les portes s'envolent, comme c'est déjà arrivé à plusieurs reprises dans le passé...
Méga-surprise en arrivant à la porte de l'observatoire: deux inconnus nous "attendaient" à l'intérieur de la bâtisse, alors qu'aucun employé n'était présent! Les deux touristes n'ont même pas eu le réflexe de nous ouvrir la porte quand ils ont vu qu'on avait pourtant la clef pour entrer... C'est peut-être l'altitude qui les rendait abrutis, mais le AO s'y est pris à deux fois, et de façon insistante, avant que les visiteurs inopportuns daignent partir, sans oublier de mentionner, cependant, que 4 autres personnes visitaient l'observatoire à leur gré... Le AO a dû faire une tournée de la bâtisse pour trouver les intrus, les expulser gentiment et vérifier que rien n'avait été endommagé ou volé. C'est qu'il y a tout de même des ordinateurs et de l'équipement électronique intéressant un peu partout...
L'incident est dû à la porte d'entrée dont le mécanisme commence à s'user et ne tient pas la porte bien fermée... Heureusement, rien d'anormal à signaler.
Pendant que le AO remplissait le réservoir du détecteur d'azote liquide, ouvrait la fente du dôme et préparait les systèmes connexes du télescope, je me suis brièvement familiarisée avec le contrôle de la caméra CFH12K, les différentes options offertes et les trente-six mille fenêtres placées devant moi... Bon, d'accord, il n'y en a pas 36 000, mais au moins une bonne demi-douzaine, et en plus, elles sont réparties sur 3 écrans différents (z'avez déjà essayé de repérer et promener une souris sur 3 écrans? c'est amusant, surtout à 4 heures du matin quand on a les deux yeux dans le même trou). J'avais donc sous les yeux le contrôle de la caméra, des messages provenant du détecteur, les informations sur la position du télescope, l'heure locale, l'heure sidérale etc., deux logiciels de visualisation des images obtenues, et quelques autres fenêtres. Contrôle total. C'est moi qui décide. C'est moi le boss!
Enfin, oui, c'était à moi de décider, mais j'avais tout de même un plan bien établi à suivre... Surtout que j'en étais à ma première expérience avec cet instrument et même, en imagerie, alors j'avais besoin de lignes directrices! On m'avait donné les coordonnées des objets à observer, le nombre d'images à prendre ainsi que la durée de chacune d'entre elles, les filtres à utiliser et et un horaire précis.
En plus, un astronome suivait mes actions (et gaffes) à partir de Waimea. Il pouvait vérifier avec moi la qualité des images et m'envoyer sur mon écran des messages, commentaires et instructions.
J'ai commencé avant le début du crépuscule avec une série de poses visant à mesurer le niveau de bruit électronique de la mosaïque de CCDs. Facile. Ensuite, peu après le coucher du soleil, ce fut la course pour obtenir des images du ciel crépusculaire (images qui servent à caractériser la réponse de chacun des points de l'image pour savoir s'il y a des zones plus sensibles à la lumière que d'autres). Etant donné le la brillance du ciel après le coucher du soleil varie très rapidement, il fallait estimer rapidement le temps de pose requis puis utiliser un petit programme qui calculait pour chacune des poses successives le temps d'intégration requis selon l'heure et donc selon la brillance du ciel. Commencer 5 minutes trop tard pouvait signifier ne pas avoir assez de temps pour obtenir le nombre d'images nécessaire... D'où la course aux photons.
Pendant le premier bloc d'observations, j'ai gaffé... j'ai oublié d'ajuster le foyer de la caméra ce qui fait que la première image est légèrement hors foyer, mais pas assez pour ne pas être utilisée.
Pendant le deuxième bloc d'observations, j'ai (encore) gaffé... J'ai mal choisi le type d'observation, ça faisait autre chose que ce que je voulais, j'ai dû interrompre la série d'observations qui avait été lancée et recommcencer.
Pendant le troisième bloc... eh bé non, j'ai pas gaffé. J'ai réussi à obtenir toutes les images désirées, entre environ 22h et 03h30 (et entre quelques petits sommes aussi, parce que ça commençait à devenir fatiguant). Pour ceux qui s'inquiètent, l'altitude n'a plus vraiment d'effet sur moi, à part si je me mets à courir dans les escaliers ou faire des jumping-jacks pour me réchauffer. J'étais fatiguée de la même façon que j'étais fatiguée quand j'observais à 1111 mètres d'altitude (c'est-à-dire à l'Observatoire du Mont Mégantic). Oh, bien sûr, un petit mal de tête s'est mêlé de venir me déranger, mais j'ai essayé de me saoûler au Gatorade (puisque ces maux de tête sont souvent dûs à la deshydratation) et ça l'a un peu noyé.
Pour pouvoir bien fonctionner jusqu'à la fin de la nuit, j'ai mes petits trucs: faire un somme vers 2h00, et grignoter des cochonneries tout au long de la nuit, telles croustilles, biscuits et bonbons. Après mon petit somme, je pète le feu!
Quelques astronomes ont également appelé; l'astronome support voulait vérifier que je n'avais rien brisé, et un des astronomes pour qui j'observais a appelé de France pour vérifier si tout allait bien. Ça aussi, ça garde occupé, et ça oblige à rester réveillé, concentré, cohérent (pas toujours facile en altitude!) et compétent. Poils aux dents.
Reste qu'après 24 heures de travail dont 14 au sommet, je commençais à trouver ça dur. Dormir, dormir, dormir... pas encore, il reste la calibration durant l'aube... Mes paupières étaient lourdes, mais lourdes, mais il fallait rester réveillée. Pour les calibrations finales, j'ai eu de l'aide de l'astronome qui s'apprêtait à fêter le passage à l'an 2000 en France. Je n'avais que quelques boutons à cliquer, et lui, del'autre côté de la planète, pouvait contrôler la caméra, partir une pose, inspecter les images et décider de la meilleure stratégie à adopter. Les merveilles de la technologie.
Après cette première nuit exhaltante, je voulais m'exhalter dans mon lit. Le soleil venait à peine de se lever quand on est sorti dehors. Aucun nuage, ciel bleu clair, plus d'étoile, autres dômes tranquilles tout autour.
Pas besoin de dire que ça n'a pas pris de temps avant que je
m'endorme...
Note à moi: toujours, toujours, TOUJOURS vérifier avant de se coucher si le locataire précédent a laissé l'alarme du réveil-matin à ON en quittant la chambre...
Ça ne faisait pas une heure que je dormais que mon réveil-matin s'est mis à hurler et m'a fait sauter au plafond. Dans l'obscurité et la confusion la plus totale, j'ai cherché la source du bruit qui allait, pensais-je, réveiller tous les occupants du dortoir. J'ai peut-être fait encore plus de boucan en cherchant à tâtons à mettre la main sur le machin offensant, bousculant la lampe, projetant mes clefs à l'autre bout de la chambre et probablement pestant à voix haute...
Piton à OFF et mon pauvre petit coeur en train de péter ses valves, je me suis recouchée et rendormie...
... pour me réveiller à nouveau vers midi. Dans un nuage cérébral, j'ai libéré la chambre, déjeûner dans une salle à manger sombrement tranquille et je suis repartie pour Waimea dans ma navette super-spatiale bleu ciel.
En théorie, quand je termine une nuit blanche ou une mission d'observation, je relaxe et je reste réveillée jusqu'à 20h ou 21h avant de m'écraser dans mon lit.
Mais c'était la veille du Jour l'An... En écoutant les nouvelles, ils ont parlé longuement de la météo "défavorable", avec peu de vent et pas de pluie... Défavorable à quoi, coudon?!?
Vers 16h30, une bande de jeunes a commencé à fêter dans la rue, avec des pétards... Des machins qui font de jolies lumières, de magnifiques petits feux d'artifice et beaucoup beaucoup de bruit. Dieu merci, ma télé a des sous-titres, parce que même avec le volume au maximum, je n'entendais pas grand chose. Jusque vers 18h, ces jeunes se sont amusés à faire exploser pleins d'engins pyrotechniques.
Ensuite, vers le coucher du soleil, vint le tour des adultes... ahhhh, là c'est du sérieux! Il existe plusieurs variantes des festivités du Nouvel An, mais toutes utilisent des pétards, fusées sifflantes, feux d'artifices, fusées éclairantes, tout ce qui peut produire des explosions de lumières multicolores, des étincelles et beaucoup de bruit si possible. Certains jettent tout ça dans des barils vides, ce qui fait encore plus résonner les explosions. D'autres installent des chaînes de machins explosifs sur un poteau, qui produit alors, de bas en haut, de belles bleues, et de belles rouges, et des vertes et des blanches... et pleins de Boum et de Paf et de Pif et de Pow...
J'étais cependant suffisamment zombie pour aller dormir et réussir à m'endormir malgré le vacarme.
Jusqu'aux douze coups de minuit où le carosse s'est transformé en citrouille parmi un regain incroyable et inimaginable d'explosions de lumières et de bruit. Alors là, pas moyen de dormir. Alors autant profiter du spectacle, en essayant d'y voir quelquechose à travers toute la fumée produite inlassablement depuis des heures. Fumée que l'absence de vent et de pluie gardaient près du sol (d'où le bulletin météo un peu bizarre auparavant).
Ça a duré un bon 20 minutes, et c'était incroyablement bruyant et
intense. On m'avait déjà glissé un mot sur les particularités locales en ce qui
a trait au Nouvel An, mais même avertie, j'ai été impressionnée. Ces
festivités plaisent bien à certains, mais il faut dire qu'elles sont
interdites sur au moins une autre des îles Hawai'i. A chaque année, il y
a des incendies, des dégats, des accidents et parfois même des morts,
comme cette année où un adulte a reçu un de ses engins derrière la
tête. Pas moyen de dormir, les chiens se terrent où ils peuvent, et le
lendemain, les entrées de garage sont parfois ensevelies sous quelques
cm de restes de pétards...