Mars 2000 |
Il a fait chec (dans le sens de, pas beaucoup d'eau) durant tout le mois de février. Ce fut même une chécherèche officielle pour toute la Grande Ile, avec interdiction de gaspiller l'eau potable. Plusieurs endroits de l'île n'ont pratiquement rien reçu en précipitations (un dixième de pouce d'eau ou moins) alors que normalement, il tombe tout de même quelques pouces ici et là.
A part le gazon qui jaunit (et arrête de pousser!), la chécherèche
augmente considérablement les risques de feux de broussailles. En mars,
deux feux considérables (ceux dont j'ai entendu parler) ont ravagé entre 500
et 800 acres de pâturages chacun. Le plus souvent, c'est une voiture (de
touristes) arrêtée sur le bord de la route qui met le feux aux herbes
chèches simplement à cause de la chaleur de son pot d'échappement... En
quelques secondes, les herbes s'enflamment, et nous voilà parti pour une
alerte. Un de ces feux s'est produit à 1/2 mille seulement de
Waimea, forçant l'évacuation de quelques maisons, la fermeture
temporaire de la route (et comme y'a pas 36 routes pour aller du point
A au point B, ça emmm...bête bien du monde) et un gros panache de fumée
visible des quartiers généraux du CFHT à Waimea... Il y a eu finalement
peu de dommages, et on peut s'estimer chanceux qu'un feu gigantesque ne
se soit pas encore déclaré près de zones habitées...
Pas mal de science ce mois-ci, certains projets avancent. Tout
d'abord, le Papier 1, tiré de ma
thèse, a été accepté pour publication. Finalement! Je recevrai les
épreuves bientôt, les corrigerai, et ça devrait sortir au mois de
juillet. Temps écoulé entre la première soumission et la publication: 2
ans moins 2 mois... Ensuite, une collaboration issue du travail d'été
que j'avais effectué en 1993 (!) et qui avait été mise sur la glace
faute de temps reprend vie, et un projet issu d'observations faites avec
La Belle et La Bête devrait aboutir bientôt. Et pis la cerise sur le
sundae: j'ai préparé la présentation pour ma soutenance de thèse de
doctorat, prévue pour le 7 avril.
Ma part de travail pour le CFHT ce mois-ci: un dernier effort pour le rapport annuel (re-re-re-re-re-re-lecture), vérification et correction d'autres manuscrits pour les comptes-rendus de la conférence ADASS, évaluation technique d'une douzaine de demandes de temps pour le semestre 2000 B, discussion entre astronomes du profil recherché pour notre prochain Assistant d'Observation (qui contrôle le télescope et ses systèmes connexes pendant les observations) et de la notice de Poste Vacant, état actuel et futur de certains instruments, autres réunions diverses.
Rencontre pour le projet OHANA, qui veut relier par fibres optiques
plusieurs télescopes au sommet du Mauna Kea, les télescopes Keck,
Gemini, et CFHT pour commencer. Ohana est un
acronyme pour Optical Hawaiian Array for Nanometer Astronomy, mais comme
le mot veut également dire 'famille' en hawaiien, ce nom ne pouvait
tomber mieux... Rassembler ces télescopes permettra
d'augmenter la résolution spatiale, c'est-à-dire de voir des détails
plus petits et plus fins que ceux que peuvent voir les télescopes
individuels. Le défi est de taille, puisque les télescopes ont des
caractéristiques différentes et qu'il faut faire très attention de
préserver les informations contenues dans la lumière reçue par chacun
d'eux. Certains développements technologiques récents pourront être mis
à contribution, mais plusieurs innovations et tours de passe-passe
devront être trouvés pour contourner quelques problèmes.
Mois de mars, mois des impôts et du recensement (quelle chance, je suis tombée sur la seule année par décennie où le recensement américain est posté). Pour les impôts (américain et hawaiien), je me suis tapée des dizaines de pages de plusieurs documents, en commençant par essayer de déterminer mon statut de résidence: suis-je résidente? non-résidente? résidente pour une partie de l'année seulement? ai-je ma carte verte? quel est mon type de visa? combien de jours ai-je passé aux EU (somme des jours pour 1999, plus 1/3 des jours pour 1998 et 1/6 pour 1997, ou quelque chose du genre...)? que dois-je déclarer? Heureusement, une fois les bons formulaires trouvés, je n'ai pas eu trop de difficulté à les remplir. Ces formulaires sont même un modèle de concision: deux pages par formulaire, sections claires, pas besoin de remplir d'annexe F suivie du complément X en soustrayant le montant de la copie M du montant rétroactif de la ligne 47b. Ça, je me le suis tapé pour le Québec et le Canada (oui! quelle joie jubilante, 4 formulaires d'impôts à remplir! l'extase!)
Autre paperasse: le recensement. En plus de tomber sur l'heureuse année de cette tracasserie administrative, on m'a donné la version "longue" du questionnaire. Quel moyen de transport est-ce que j'utilise pour me rendre au travail? Combien de temps ça me prend? Ai-je des passagers? De quelle année date ma maison? Est-elle équipé d'électroménagers? Ai-je le câble? Combien coûte le loyer? Ai-je l'électricité et l'eau courante? Combien cela me coûte-t-il par année? Quelle est la superficie du mon terrain? Quel est mon diplôme le plus récent? Dans quel domaine? Quel est mon emploi? Ai-je des problèmes de drogue, alcool, maladie mentale?
J'ai rempli cette horreur, mais après avoir appris que certains
politiciens, outragés de cette incursion fracassante dans la vie privée
des citoyens américains, exhortaient leurs compatriotes de boycotter le
recensement, je ne l'ai jamais postée. Au risque d'aller en prison
(ouioui, c'est écrit en grosses lettres, la loi exige que tous les
résidents remplissent le formulaire, sinon, c'est la prison - ça
m'étonne que les Américains, si rebelles à toute forme de contrainte, se
laissent recenser de cette façon...) Ça va aller dans le musée des
horreurs. Avec des catalogues que j'ai reçus par la poste, et dont on ne
m'enverra malheureusement plus jamais jamais jamais d'exemplaire (c'est
tu assez triste à votre goût?) à moins
que je fasse une commande par la poste dans les jours qui
viennent. C'est cela. Je vais commander le magnifique gadget qui
augmente miraculeusement la taille des jeans d'une couple de pouces (ben
oui, suffit de mouiller le jean, d'installer l'espèce de tige au niveau
de la taille et de crinquer b'en fort pour étirer le tissu.) Breveté,
bien sûr.
Bon, je suis à Hawaii, je vis à Hawaii, je retourne au Québec dans
quelques semaines, je suis blanche comme un drap, trouvez
l'erreur... J'ai donc pris un dimanche après-midi pour essayer de me
faire bronzer sans me faire brûler à la plage Hapuna. Pas de crème
solaire, mais je me suis étalée par terre à 15h, bien après la période
idéale pour les coups de soleil et d'ailleurs trop chaude pour
moi. Lecture divertissante, j'ai du sable
partout entre toutes les pages, mais j'ai pas bronzé du tout. Même pas
rougi. Méga flop. Pas capable de bronzer à Hawaii...
Vers la fin du mois de mars, un problème avec le miroir primaire du télescope est apparu: une des 24 vessies (remplies d'air comprimé) qui soutiennent le miroir (de 15 tonnes) commençait à laisser fuir de l'air. Si elle venait à rompre, toutes les vessies se dégonfleraient et le miroir ne serait plus soutenu du tout! Urgence... Deux ingénieurs ont été rappelés d'Allemagne où ils assistaient à une conférence... Un horaire très serré et impliquant une bonne quinzaine d'employés a été chorégraphié pour minimiser le nombre de nuits inutilisables à cause des réparations. Les observateurs ont été avertis qu'ils perdraient au moins une nuit d'observation (et ont bien sûr grogné).
Hasard inouï, cette tuile tomba en plein milieu d'une mission avec
la caméra CFH12K, justement la mission que je devais supporter en
échange de nuits OASIS où, malade, j'avais due être remplacée... Nuits
OASIS où, en plus, une magnifique collection de problèmes,
inconsistances et bizarreries avaient affligés l'astronome qui m'avait
remplacée. Un peu piteusement, j'avais dit à la rigolade que, pour ma
punition, il faudrait bien qu'il m'arrive pleins de problèmes lors du
support que je devais faire pour la CFH12K. Eh bé, j'ai été servie!
La toute première journée en tant qu'astronome de support pour les 2 missions CFH12k, j'ai été pas mal occupée. Après la petite routine habituelle (relire la documentation pour l'instrument, préparer les informations à distribuer aux observateurs, vérification des prévision météo et des cartes satellite, lecture et classement de mon courrier...), j'ai quitté Waimea pour me rendre à Hilo pour une rencontre du comité organisateur de la conférence Astrophysical Ages and Timescales.
A peu près tous les observatoires situés au sommet du Mauna Kea contribuent de près ou de loin à l'organisation et au financement de cette conférence, commanditée par les observatoires Gemini et Subaru. La rencontre avait lieu aux quartiers généraux de Gemini. Après la rencontre en tant que telle, on m'a fait visité les lieux; les astronomes s'entassent malheureusement à 2 dans des bureaux plus petits que le mien au CFHT, mais les laboratoires (optiques, mécaniques, électroniques) sont bien équipés pour recevoir les gigantesques instruments qui sont et seront construits pour Gemini. Tout est neuf, tout est beau et bien astiqué, il y a des stations de travail pour les fins et pour les fous...
Comme les observateurs m'attendaient à Hale Pohaku, j'ai dû quitter Hilo en milieu d'après-midi. J'ai rejoint la Saddle Road et zigzagué à travers la brume et la pluie. Cette portion de la Saddle Road, entre Hilo et la route du sommet, est plus agréable à conduire que la portion empruntée lorsqu'on part de Waimea à cause du revêtement, qui couvre uniformément, cette fois-ci, les deux voies de la route. Cependant, il y a tout autant de virages serrées, de montées et de descentes subites et de passages où on doit essayer de deviner ce que la route nous réserve après ce virage là-bas, en haut de la côte... En ajoutant la brume et la pluie si caractéristique d'Hilo, ça rend le voyage un peu plus dangereux. Lorsque la brume s'étiolait, je pouvais voir le paysage, différent de celui auquel je suis habituée lorsque j'emprunte la route à partir de Waimea. Il y a beaucoup plus de végétation, d'arbres qui sont arrivés à pousser à travers la lave, et d'ilôts de verdure généreuse entre deux vieilles coulées de lave.
Une fois à Hale Pohaku, petite routine habituelle: souper costaud (on me sert encore comme si j'étais un lutteur de sumo), bavardage avec les observateurs, mises au point et clarification à propos du fonctionnement de l'instrument (les observateurs ne lisent pas toujours les manuels d'instruction, et quand ils les lisent, ils les interprètent parfois à leur façon!), une petite aspirine pour éviter le mal de tête, 1/2 litre d'eau pour hydrater le corps, un baume pour protéger mes lèvres, des gouttes hydratantes pour mes yeux, un peu de crème pour éviter la momification de mes mains, et un gros manteau pour préserver ma chaleur.
Les 2 équipes d'observateurs se partageaient les nuits, le premier groupe observant jusqu'à 22h, et le 2e groupe prenant tout le restant de la nuit. La première équipe n'avait jamais utilisé l'instrument; la seconde, si, et à plusieurs reprises. L'observateur principal de la première équipe était donc un petit peu beaucoup nerveux, stressé et stressant! Rien n'allait assez vite à son goût, rien n'était assez clair à son goût, rien ne fonctionnait assez bien à son goût! Déçu de certaines caractéristiques de l'instrument (parce qu'il avait mal lu le manuel), il devint de mauvaise humeur. Confus par les diverses possibilités existantes pour visualiser ses données, il me demanda plutôt brusquement comment moi, je faisais, pour visualiser à l'écran les images prises. L'altitude n'a probablement pas aidé à calmer et rassurer cet observateur...
Par contre, l'observateur expérimenté planait sur son petit nuage de bonheur, attendant patiemment que le télescope et l'instrument soient prêts, demandant calmement et poliment quelques explications supplémentaires, observant simplement ce qui se passait autour de lui sans essayer de s'énerver inutilement.
Deux observateurs différents, deux comportement différents! C'était
la première fois que j'avais affaire à un tel contraste... Il suffit de
garder soi-même son calme et le contrôle; pas évident, mais ça fait
partie de notre tâche.
Le lendemain, le marathon pour réparer le télescope débuta. Durant la journée, celui-ci fut démonté en partie, pour pouvoir soulever le miroir primaire (de 15 tonnes) et avoir accès aux vessies percées. L'inspection et la réparation des vessies percées, ainsi que le démontage/remontage du miroir primaire demandant 2 jours complets de travail, la seconde nuit de la mission fut perdue, au grand damn des observateurs, surtout celui qui était déjà un peu stressé...
Pour mettre un peu de piquant dans les activités de l'équipe de
réparateurs et vérifier que tous les boulons avaient bien été serrés,
Dame Nature (ou plutôt Dame Pélé) secoua plutôt fortement toute l'île
(et le télescope) pendant plus d'une demi-minute. A Waimea, les murs et
les fenêtres ont tremblé distinctement... Heureusement, au sommet, tout
avait déjà été remis en place; plusieurs se sont demandés un instant ce
qui se serait passé si le dit tremblement de terre avait eu lieu pendant
que le miroir (de 15 tonnes) était suspendu dans les airs, au bout de la
grue... Vaut mieux pas y penser...