Semaine du 29 novembre 1999 |
15h, départ pour le sommet en compagnie de l'astronome support pour les prochaines semaines. Ce soir commence une série de missions avec OASIS (un spectrographe qui prend des spectres en chacun des points d'une image, une galaxie, une nébuleuse, etc.).
Ciel bleu et limpide, soleil éclatant, et du vert partout, incroyable! Alors qu'il y a 3 mois, on ne voyait que des herbes grises, jaunes, sèches et archi-sèches (comme les chemises de l'archi-dusseche... ducheche... du-che-sse!), on voit maintenant du vert partout, vert tendre, vert jeune, vert pétant de santé, grâce aux pluies abondantes qui nous tombent dessus depuis quelques semaines. Gazon, quelques fleurs, quelques petits arbustes, touffes de verdure, c'est joli et ça fait du bien de voir du vert.
On a hérité d'un vieux tacot sans moteur pour monter jusqu'à Hale Poaku. L'aiguille de la température commençait dangereusement à flirter avec la zone rouge lorsqu'on est arrivé à destination. Hot flirt...
Après un souper mangeable mais peu appétissant pour certains (un mélange de 2 sortes de nouilles, avec du thon en canne et une sauce lourde), on est monté au sommet pour travailler. L'installation de OASIS n'était pas encore tout à fait terminée, et deux ingénieurs/techniciens se battaient encore pour terminer l'essentiel le plus vite possible.
Par chance, on est tombé assez rapidement sur un problème technique avec l'obturateur du détecteur qui ne voulait plus se fermer correctement. Je dis par chance, parce que si c'était arrivé après que les ingénieurs soient partis, il aurait fallu appeler à l'aide, on aurait perdu du temps à réparer nous-mêmes le bidule, ou il aurait peut-être fallu attendre que la cavalerie remonte au sommet. Alors, par chance, le problème a été découvert alors qu'on avait sous la main des personnes compétentes qui savaient quoi faire et l'ont fait illico presto.
Finalement, vers 21h, OASIS était prêt à subir la série de tests qui étaient prévus pour cette première nuit d'ingénierie. Il fallait tester la stabilité mécanique d'une composante optique qui peut être ôtée et changée pour une autre, et vérifier si cela changeait où l'étoile observée tombait sur le détecteur. Il fallait également vérifier si une composante optique qui corrige les effets de la réfraction lorsqu'on regarde bas au dessus de l'horizon (atmospheric diffraction corrector) corrigeait bien la dite aberration. Comme l'instrument n'avait pas été utilisé depuis un an, certaines autres vérifications devaient être faites. On avait prévu 2 nuits pour faire tout cela.
Alors on pointe vers une première étoile pour commencer les tests. Et l'étoile n'était pas ronde, ce n'était pas une étoile à cinq ou six branches, c'était une étoile triangulaire! Oups, problème! Le miroir primaire est "assis" sur 3 supports, et s'il est mal "assis" et pas assez bien supporté, les images ne sont plus rondes, mais triangulaires. Il a fallu quelques coups de téléphone et l'aide de deux ingénieurs pour remettre le télescope en bon ordre de fonctionnement.
Toute la nuit, on était trois à faire les tests. L'astronome support prenait les données qu'un astronome français réduisait et analysait immédiatement. Moi, je regardais par-dessus leurs épaules et essayais de suivre tout ce qui se passait.
Fidèle à mes habitudes, je me suis endormie sur ma chaise vers 2
heures du matin. Ce n'était pas tant l'altitude que la fatigue. Lorsque
j'observais à l'Observatoire du Mont Mégantic, je tombais toujours
endormie vers 2 heures du matin lors de la première nuit. Après un petit
somme de plus d'une heure, j'ai retrouvé suffisamment mes esprits pour
continuer à apprendre le fonctionnement de l'instrument, jusqu'au lever
du soleil, vers 6h30. Ça fait de longues journées, soit dit en
passant. J'ai traîné ma carcasse jusqu'à mon lit et suis tombée dans un
sommeil profond vers 7h. La veille, je m'étais levée à 7h...
Gros dodo mais pas très réparateur. On dirait que je ne dors pas aussi profondément qu'au niveau de la mer. Déception: après la superbe nuit d'hier, on est dans la brume totale, et les îles sont sous un couvert nuageux important.
Souper délicieux et sophistiqué cette fois-ci, préparé par la 2e équipe de cuisiniers: crevettes dans une sauce tomate concoctée avec art et amour.
Beau pas beau, il faut monter au sommet, malgré les nuages, la brume et la température sous les zéro degrés. A cause du risque de gel, en montant au sommet, on parlait déjà de redescendre... Certains tests prévus ne nécessitaient pas d'étoile, mais pouvaient être effectués à l'aide de lampes de calibration. Enfer et damnation, on avait trop de photons (ça rime!). La lampe était trop puissante pour nos besoins et saturait le détecteur! On s'est alors amusé à installer des filtres pour bloquer un peu de lumière, mais bizarrement, les filtres, les bouts de papier et les morceaux de carton qu'on mettait ne diminuaient pas le flux de photons... jusqu'à ce qu'on réalise qu'on utilisait deux lampes à la fois et non une seule comme on croyait! Une fois ceci compris, on a pu effectuer quelques calibrations nécesaires pour la réduction des données.
La brume persistante et la température frisquette étaient surveillées de près par notre Opérateur de Télescope et les opérateurs des autres observatoires. Vers 23h, nous étions presque les seuls à encore travailler au sommet, mais comme le principal de nos tests était terminé, on a décidé d'évacuer. Le camion était déjà recouvert de glace, et une petite bruine fatiKante réduisait considérablement la visibilité. Il a fallu descendre lentement au début, mais peu après, les conditions routières se sont amélioré.
Grâce aux miracles de la technologie, on a pu continuer à prendre des
données de calibration à partir de Hale Poaku. Enfin, j'ai laissé ça aux
autres, et je suis partie me coucher vers 2h du matin sans avoir pu me
concentrer suffisemment pour effectuer quelque travail que ce soit.
Mon andouille d'horloge biologique a sonné vers 8h, alors que j'aurais voulu rester dans le coma jusqu'à midi... Le ciel était plus encourageant que la veille: quelques nuages, mais pas de brume. J'ai travaillé un peu dans le bureau à Hale Poaku, mais le sommeil m'a pris d'assaut vers 14h, alors je suis allée me recoucher, en pestant contre la brume qui revenait nous narguer.
Le petite somme de deux heures a fait du bien, et je me suis réveillée juste à temps pour le souper de 16h. Cette nuit était une nuit "discrétionnaire", c'est-à-dire une nuit qui est réservée aux astronomes du CFHT pour leurs propres projets de recherche. Mais pour ces nuits, il faut tout de même un beau ciel, ce qui n'était pas le cas à HP. En montant, on est cependant parvenu à passer au-dessus des nuages et de la brume, ce qui laissait entrevoir enfin ma première nuit d'observation!
Déception. Il y avait quelques étoiles, mais on a joué à cache-cache pendant plusieurs heures, interrompant nos observations lorsqu'un banc de brume se pointait le nez. De plus, un orage violent arrivait de l'est, éclairant le ciel d'arcs lumineux. Pour des raisons de sécurité, il a fallu redescendre à Hale Poaku avant de se retrouver au beau milieu des éclairs.
A HP, pour tuer le temps, on s'est mis à jouer au pool. Je ne suis
pas douée. Je n'ai pas de visu. Mais c'est amusant quand même. Vers 22h,
certains techniciens et astronomes qui venaient de redescendre nous ont
annoncé qu'il commençait à neiger au sommet, et que tout le monde
décampait... Plus aucune chance d'observer pour cette nuit.
J'avais espéré pouvoir observer un peu avec OASIS au cours de ces trois premières nuits, mais la météo en a décidé autrement, et j'ai dû repartir vers Waimea sans avoir eu une nuit complète au télescope à observer. Zut. Ça sera pour la prochaine fois.
Après la neige de la nuit passée, le Mauna Kea était tout blanc,
presque jusqu'à Hale Poaku. Le Mauna Loa également. Très joli. Ça me
rappelle que c'est l'hiver ici aussi, et que Noël approche! Sans
changement drastique de saison, je perds un peu la notion du temps, ça
fait bizarre...